par Georges Charles
Mardi 1er décembre
Trois jours chez ma mère ; 5e partie, le village natal et ses métamorphoses
À partir de 1996, j’effectuais deux séjours supplémentaires à Zainvillers, chaque année ; au printemps et à l’automne. Dans ces tardives retrouvailles, je prenais conscience que j’avais quitté ce lieu depuis longtemps et surtout, qu’il avait profondément changé. Mon départ avait été d’autant moins douloureux qu’il s’était opéré par étapes ; les fameuses " racines " n’avaient pas eu le temps de pousser.
1957, entrée en internat au collège, puis au lycée Jules Méline de Remiremont. Jusque-là, je vivais en pleine osmose avec l’environnement immédiat ; la famille, la maison, l’école, le football et surtout les jeux dans les " Roches ", les collines qui surplombaient le village. C’était notre terrain d’aventures, où nous construisions des " caches " (une anfractuosité de rocher que l’on garnissait de pierres et de plaques de mousse). Nous refaisions interminablement la guerre entre Maquisards et Boches (nos Cow-boys et Indiens de l’époque). Il faut dire que la guerre, la vraie, avait eu lieu seulement dix ans auparavant et qu’elle avait laissé des traces, notamment des milliers de douilles d’obus abandonnées à proximité des batteries allemandes qui, depuis les hauteurs du village, bombardaient les positions alliées dans la plaine de la Moselle, à des kilomètres de là.
Avec l’internat, le contact est rompu avec ceux de mes copains qui sont restés à l’école primaire, en attente d’entrer à l’usine textile du village. Dans ma propre famille, par contre, je ne me sens pas " exclu " puisque nous sommes, les trois frangins, dans le même établissement.
1962, sur un " coup de tête mûrement réfléchi ", une année de coopération comme instituteur en Algérie, juste après l’indépendance. Retour un an plus tard. Jusqu’au bac, je passe mes vacances scolaires comme employé dans des hôtels de la région ; le salaire fait l’argent de poche de l’année. Après le bac, surveillant dans un lycée à Saint-Dié, puis à Épinal.
1967, départ définitif pour Toulouse. Il m’avait suffi de déambuler dans le village, de mettre en parallèle mes observations du moment et mes souvenirs, pour prendre la mesure des nombreux changements survenus depuis une trentaine d’années.
· Première constatation : dans les rues et ruelles, des voitures partout, beaucoup plus qu’avant ; des gens, beaucoup moins qu’avant. Le plus troublant : l’absence d’enfants, de leurs jeux, de leurs chants et de leurs cris…
· Le chantier de granit du père : situé au bord de la Moselotte, il avait été rasé lors de la construction de la voie rapide contournant le village.
· La plupart des commerces des années 1960 ont disparu ; que reste-t-il aujourd’hui ? Une supérette, une pizzéria et une boulangerie/mini-épicerie. Les bistrots ? Dans les années 1960, nous en avions huit, dont celui des parents ; aujourd’hui, tous fermés.
· L’usine textile ; je l’avais quittée " Établissements Flageolet ", du nom patronymique des créateurs ; elle était ensuite devenue " Colroy " en 1967, " Dim " en 1981. Elle perdait des commandes et des ouvriers/ouvrières, au rythme de la concurrence asiatique. Elle avait failli fermer en 1994. Le site de production était alors repris par Jacques Marie, ex-directeur général de " Dim ", en 1995. Depuis, l’histoire est belle ; elle s’appelle " Bleuforêt ".
· Plus de curé à demeure à la paroisse ; l’église est fermée, elle sera rasée dans les années 2010.
· Le changement le plus spectaculaire concerne la morphologie du village : c’est l’augmentation du nombre des résidences. Les familles multi-générationnelles sous un même toit, les jeunes n’en veulent plus. Par une conjonction de facteurs favorables, effets prolongés de la hausse du Smic après les accords de Grenelle en 1968, taux d’intérêt réels nuls des emprunts immobiliers notamment, le temps est venu de réaliser un rêve, habiter chacun chez soi. Avec deux salaires, même modestes, les jeunes couples avec enfants s’offrent des maisons confortables, sur lesquelles ils bosseront pendant des années (« ils se font construire une belle baraque, ils achètent une bagnole… et pour payer les crédits, ils bouffent des patates toute l’année et ne partent jamais en vacances », disaient les envieux). Ces résidences avaient dévoré l’espace naturel, libre d’accès et presque sauvage où nous jouions, enfants.
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