4.9.12

Chroniques d'Août 2012

par Georges Charles

Jeudi 2 août

Il y a 20 ans de cela, on n’aurait jamais imaginé pouvoir un jour se promener avec un téléphone de quelques dizaines de grammes dans la poche et appeler n’importe qui, n’importe quand, de n’importe où (« Devine d’où je t’appelle ? »), pour un coût proche de zéro. Pouvoir s’installer devant un ordinateur de 35 cm sur 20 et gérer ses affaires, regarder des films, écrire (notamment des chroniques), dessiner, composer, tout en consultant gratuitement des millions de sources d’information venues du monde entier, d’un simple clic.

Je veux parler aujourd’hui de nos périphériques, de ces extensions numériques qui semblent faire le charme de notre vie quotidienne de gens pressés.

Ordinateur, tablette, liseuse, téléviseur, décodeur, box, console de jeux, lecteur vidéo, téléphone mobile, navigateur GPS, caméra et appareil photo numériques, baladeur...

Acheter un " nouvel appareil ", plus performant que le précédent, qui fonctionnait pourtant très bien ? Les ringards, dont je fais partie, n’aiment pas ça ; pour justifier leur réticence, leur " constipation acheteuse ", ils osent rappeler qu’avant, l’absence de mobile et de messagerie ne tenait aucune place dans le bonheur ou le malheur de la vie… À la vérité, ils appréhendent de ne pas comprendre la notice et de se tromper dans les manipulations. L’entourage fait pression sur eux : « tu verras, ça va te changer la vie ! » ; en fait, c’est bien ce qu’ils craignent le plus. C’est dur de " venir à l’informatique ".

Nous sommes un peu prisonniers de ces périphériques ; nous en dressons l’inventaire maniaque et rituel chaque fois que nous nous déplaçons : « alors, j’ai bien tout pris, téléphone, ordinateur, appareil photo, baladeur, ainsi que les prises qui les accompagnent, car ces petites bêtes demandent à être rechargées périodiquement. » La solution serait-elle dans le " tout en un ", l’engin capable de les remplacer tous ? Compliqué à produire, difficile à commercialiser. Autre risque ? En cas de perte ou de vol, toutes nos " mémoires " disparaissent. Le ringard, prudent, préférera diversifier ses bidules. 

Alors, débordés ? Dépassés par ces machines censées nous permettre de gérer nos urgences, alors même qu’elles les provoquent, parfois ? Recevoir deux fois le même message, sur le mobile et sur l’ordi ; double travail, perte de temps !

Nous voulons tout maîtriser, nous avons l’obsession du contrôle des flux d’information qui nous sont destinés (et même de ceux qui ne nous sont pas destinés…). Ce sentiment de débordement s’est accentué avec Internet et la téléphonie mobile qui nous ont plongés dans une logique de l’instant où tout, sans hiérarchie des urgences et des priorités, appelle une réponse immédiate. Différencier l’essentiel et l’accessoire, c’est très bien ; mais attention, si l’on décrète accessoire quelque chose que notre interlocuteur juge essentiel, on risque de lui déplaire. 

Est-il, oui ou non, socialement valorisant d’être débordé ? Pourtant, il serait temps d’apprendre à vivre avec un certain quota d’insatisfactions. Il faudrait cultiver un petit bout de jardin où pousserait l’incertitude, l’aléatoire, le désordre, la tolérance à la frustration et à l’imperfection. Un bout de jardin qui nous rappellerait qu’il faut apprendre à lâcher prise.

Et si, à l’inverse de l’esprit du temps, il fallait privilégier de nouveau la lenteur, l’austérité, la modestie, le peu ! La patience et la tolérance sont les grandes oubliées du progrès.

« Je marche moins, mais je regarde mieux. Je ne gambade pas avec mes jambes, mais avec le regard. » Pierre Sansot se penche avec nostalgie sur une époque où l’on prenait le temps de vivre, de flâner, de lire, de manger et de boire du vin. Il s’insurge contre les hyperactifs et les pressés perpétuels. Une certaine forme de sagesse serait de ne pas brusquer la durée, de ne pas se laisser bousculer par elle, pour augmenter notre capacité à accueillir les événements.

« La vie comme ondoiement, comme déploiement, la vie à fines gouttelettes plutôt que comme une tornade ou un fleuve impétueux. Une lumière plutôt qu’une force. »