31.3.20

La quarantaine, selon Flaubert

Le 23 juillet 1850, Gustave Flaubert envoie à sa cousine, Olympe Bonenfant, une lettre rédigée depuis le lazaret de Beyrouth. Lettre où il lui raconte, en termes parfois caustiques, sa quarantaine, sur fond de suspicion de choléra. Le paquebot à bord duquel l'écrivain était arrivé à Beyrouth en provenance d’Alexandrie avait en effet "touché à Malte" où, quinze jours auparavant, il "y avait eu deux cas de choléra". 
C'est à la Quarantaine, un promontoire surplombant le port planté, à l'époque, de mûriers, de potagers et de vergers, qu’un groupe de consuls européens avait décidé, lors de la première moitié du XIXe siècle, "de construire et d'administrer, à la demande du gouverneur Ibrahim pacha, un lazaret, un établissement où sont isolés à leur arrivée dans le port de Beyrouth, pour une période de 30 ou 40 jours, les personnes malades ou suspectées d’avoir contracté une maladie. Autrement dit, un lieu où les voyageurs sont mis "en quarantaine", comme nous vous le racontions récemment dans un article sur l'histoire de ce quartier de la Quarantaine."À l’époque, une épidémie de peste faisait des ravages sur le pourtour du bassin méditerranéen, comme le narre alors le consul de France, Henri Guys, dans un livre relatant son séjour au Liban, dont des extraits ont été repris dans L’Orient du 9 janvier 1966. Le lazaret a toutefois permis, selon le diplomate, « de préserver quinze mois la Syrie, tandis que la peste régnait à Constantinople (Istanbul), Smyrne (Izmir), Chypre et en Égypte, d’où arrivaient continuellement des navires de marchandises et de passagers ». Par métonymie, ce rempart sanitaire a fini par donner son nom à tout le quartier".
Voici comment Flaubert raconte sa quarantaine à sa cousine, d'après cette lettre dont nous vous proposons la transcription faite par le Centre Flaubert de l’Université de Rouen (lettre mentionnée ces derniers jours par Le Nouvel économiste)

Lettre de Flaubert à sa cousine, Olympe Bonenfant, Beyrouth, 23 juillet 1850

Du lazaret de Beyrouth, 23 juillet 1850.
Si je ne t’ai pas écrit depuis longtemps ma chère Olympe ce n’est pas faute de bonne volonté. Bien souvent pensant à ma mère je pense à toi naturellement puisque tu es la femme qu’elle aime le mieux, tendresse que tu lui rends bien et dont vous autres au moins vous donnez des preuves – Mais c’est qu’écrire une lettre en voyage est une besogne difficile. Le temps est si employé, on en a si peu, le soir on arrive exténué – on dévore ce qui se trouve – on fume une pipe (chose indispensable à l’existence) et on se couche ; pour le lendemain matin à la pointe du jour se rembarquer sur son ch à cheval à dromadaire ou à âne.
Enfin aujourd’hui que nous sommes en prison je profite d’un moment pour t’envoyer ce petit mot de souvenir. Les lazarets ont été inventés pour les quarantaines et les quarantaines pour emplir la poche de ces bons Turcs, tout cela sous prétexte de peste ; or du moment qu’on arrive ici d’un pays étranger on a la peste et je crois franchement qu’ils en ont peur –
Ainsi nous sommes en ce moment en suspicion de choléra parce que le paquebot qui nous a amenés d’Alexandrie ici avait touché à Malte et qu’à Malte quinze jours auparavant il y avait eu deux cas de choléra. Conséquemment nous sommes [illis.] claquemurés dans une presqu’île et gardés à vue – L’appartement dans lequel je t’écris n’a ni chaises ni divans ni table ni meubles ni carreaux aux fenêtres – on fait même petit besoin par la place des carreaux des dites fenêtres, détail que tu trouveras peut-être superflu, mais qui ajoute à la couleur locale – il n’y a rien de plus drôle que de voir nos gardiens qui communiquent avec nous à l’aide d’une perche, font des sauts de mouton pour nous éviter quand nous les approchons, et reçoivent notre argent dans une écuelle remplie d’eau – hier au soir, Sassetti a manqué faire à l’un d’eux dégringoler l’escalier à grands coups de pied dans le bas des reins –
par Pour nous purifier cet imbécile était venu nous empester avec des fumigations de soufre. Notre malheureux groom était déjà presque asphyxié et toussait comme cent diables enrhumés – Quand on veut leur faire des peurs atroces, on n’a qu’à les menacer de les embrasser – ils pâlissent –
B en résumé quoique nous soyons présentement dans un local de nom funèbre nous rions beaucoup – d’ailleurs nous avons sous les yeux un des panoramas comme on dit en style pittoresque des plus splendides du monde – la mer bleue comme de l’eau d’indigo bat les pieds du rocher sur lequel nous sommes huchés. Elle [est] si transparente que lorsqu’on descend au bord, on y voit dans l'eau nager les poissons, et remuer au fonds, les gdes herbes et les varechs qui s’inclinent et se redressent au mouvement des vagues. la végétation descend jusque sur la grève et que portant fleurs et verdure – et lorsqu’on lève les yeux le nez [illis.] on trouve une chaîne de montagnes (le Liban) ayant cravatée de nuages à leur son milieu et poudrée de neige à son sommet. Ce sont là de ces choses, chère Olympe, que l’on ne verrait pas à Paris, même en payant – j’ose le dire. J’ai le courage de mon opinion.
Nous allons donc dans deux ou trois jours enfourcher des chevaux et partir pour Jérusalem où nous serons à la fin de l’autre semaine. – Nous en avons fini du voyage en barque. Ça va être maintenant le cheval et le mulet nous aurons bien aussi par-ci par-là quelque peu de chameau pour n’en pas perdre l’habitude. Quant à ce qu’on dit du mal de mer qu’il donne, c’est une pure blague. Le mal de terre oui – ça vous écorche convenablement le premier jour pour peu que l’on ait une mauvaise selle, ce qui vous arrive infailliblement. Celui que j’avais sous moi pr aller à Kass Kosseïr sur les bords de la mer Rouge avait, outre les poux qu’il me communiqua, une plaie à la cuisse droite qui suppurait fort et qui le soir venu ne sentait point les parfums d’Arabie – Ce n’était pas un dromadaire quoiqu’il en portât le nom ; c’était un vésicatoire à quatre pattes, un exutoire quadrupède ! les pauvres bêtes d’ailleurs crevaient de faim par suite de l’avarice de leur maître et ne rencontrant rien en route se mangeaient réciproquement leurs crottes ! en voilà des phalanstériens ! Du reste c’est une admirable bête que le chameau, je ne peuxme lasse pas de contempler cet étrange et gracieux animal – il faut les voir quand on les aperçoit dans le désert au bout de l’horizon, s’avançant sur le même rang, tous alignés d’eux-mêmes [illis.] comme des soldats, et balançant leur long col comme à la façon des autruches. Pourquoi donc désigne-t-on une femme laide par l’appellation de chameau ? celui qui a inventé cette sotte facétie avait une bien bonne opinion du beau sexe. Je souhaiterais aux maris malheureux d’avoir des dromadaires pour épouses.
Assez bêtifié comme cela chère Olympe, – voilà je crois minuit – il est temps de se coucher, maintenant que nous avons des habitudes patriarchales – c’est bien le moins – nous sommes dans le pays des patriarches – à propos, je m’en vais rapporter du St Sépulcre quelques chapelets à l’usage des âmes pieuses de ma connaissance – Mais comme dans mes connaissances je n’en vois guère, si tu en as, toi, je t’en donnerai pour elles – J’ai à te remercier bien fort pour avoir confié ta fille à ma mère – elle a été bien heureuse de cette société. irez-vous ces vacances à Croisset – je me mets de la partie et je prie Bonenfant que ses occupations ne vous en empêchent pas. – tu sais com quel bonheur ce sera pour ta pauvre tante. – embrasse pour moi tous les tiens – et quant à toi ma pauvre vieille embrasse-toi de ma part quoique l’insolence du sieur Du Camp (homme aimable) m’ait devancé.
À toi du fond du cœur.
Gve Flaubert
Maxime vient de me demander à qui j’écrivais. Je lui ai répondu : « À Olympe. » Il a repris : « Tu lui diras que je l’embrasse de tout mon cœur. » [illis.]
Transmis par Ginette ...

17.3.20

Coronavirus : depuis ma tour d'ivoire

Je vous salue !

Je suis heureuse de voir que certains d'entre vous restent optimistes envers et contre tout, je souhaite qu'ils aient raison et j'espère qu'ils auront raison.
Ils ne sont pas les seuls, les Hollandais ont pris aussi la décision d'attendre et de voir. C'est une autre façon de voir les choses.

Mais personnellement je réitère aujourd'hui mes propos d'hier : chez nous, le virus attaque.
Chaque jour un peu plus. Il fait tache d'huile et pour le moment nous ne pouvons que constater. 

Le virus fait peur, en particulier à ceux d'entre nous qui ont des enfants travaillant auprès des malades, et j'en suis.
Les mesures de précaution sont théoriques pour eux : pas assez de masques (un masque n'est efficace que pendant 3 heures et pas d'espoir d'en récupérer avant le mois de mai, du moins pour les dentistes mais mon fils généraliste n'en a reçu que 50 pour le moment).
Tous les soignants manquent de repos, ils sont tous les jours au contact des malades, cela les met en danger.
Certains diront qu'ils ont choisi de faire ces métiers, je le sais, mais quand il s'agit de ses propres enfants, on pense différemment même s'il faut rester positifs et l'accepter.

Ici dans le Grand-Est on ne maîtrise plus la situation : les médecins tombent malades, les hôpitaux n'ont plus de respirateurs et pire encore, ils n'ont plus de places.
L'armée commence à intervenir, avec des hôpitaux de campagne et des hélicoptères pour transporter les malades dans des régions moins atteintes.
Espérons que le pic sera passé dans la nôtre quand les autres régions auront besoin d'elle.
Et je n'ai pas oublié les cours de médecine militaire...j'ai fait réciter les cours de l'armée à mon petit mari lorsqu'il était à Libourne pour ses classes : le tri des malades n'est pas tendre, on soigne en priorité ceux qui ont des chances de s'en sortir, c'est à dire les plus jeunes et les moins atteints...

Le virus est devenu la préoccupation principale, tout le monde ne parle plus que de lui.Les opinions sont très partagées, nous l'avons constaté dans les commentaires qui ont suivi mon courriel d'hier.
Pourtant, c'est encore le virus qui donnera raison aux uns ou aux autres. Et j'espère vraiment que les optimistes auront eu raison !

Personnellement j'ai quelques échos de la situation par mes enfants, les uns dans la sphère politique, les autres dans le milieu médical et je peux vous dire que ni les uns ni les autres, qui, pourtant directement concernés, ne savent grand chose !
Les nouvelles et les consignes leur parviennent en désordre de l'aurore jusque très tard le soir et plus que les bonnes nouvelles, ce sont surtout les contrordres qui se succèdent de jour en jour ! Pas facile à vivre pour eux !
En fait, il semble que personne ne sache à quoi s'en tenir. Les chercheurs se sont attelés à l'étude de ce virus et il faudra encore attendre un "certain" temps avant d'avoir des certitudes et des solutions.
D'après "le docteur", il faut l'éviter puisqu'on ne peut pas le tuer.


En attendant, je reste convaincue que dans le doute, il vaut mieux être prudent.
Obtempérer aux consignes n'est pas trop difficile pour nous, la vie sociale active est temporairement suspendue mais nous avons la chance d'avoir internet pour entretenir nos liens familiaux et amicaux.
Donnez des nouvelles, exprimez-vous, chacun est libre de ses opinions et de les coucher sur l'écran, le respect des idées des autres est de rigueur dans notre groupe, discutons, discutons, ça fait du bien à tous.
Allez, on ne coupe pas le contact, il y aura bientôt quinze ans que nous l'avons repris, qu'il continue !

Amicalement,
Ginette

16.3.20

Coronavirus : croisons les doigts

Chers amis,

Les nouvelles sont mauvaises ! 
Vous savez tous que la multiplication des atteintes par le coronavirus s'accélère de jour en jour et qu'elle est particulièrement sévère dans notre région du Grand Est !
Je peux vous l'affirmer ce matin car mes sources viennent directement de mes enfants qui sont au front et pour lesquelles nous nous inquiétons sérieusement, Dédé et moi.
Plusieurs médecins et autres personnels de santé des Hautes Vosges sont déjà touchés et empêchés de travailler.

Les consignes sont sévères, nous avons tous plus de 70 ans et donc nous ne devons plus rencontrer nos amis, pas plus que nos enfants ou nos petits-enfants et cela va être difficile à vivre.
Pour combien de temps ? Nul ne peut répondre à cette question, de longues semaines sans doute.

Nous allons rester dans nos tours d'ivoire avec des bouquins et des DVD, et malgré cela, les journées vont être longues. 
Considérons-nous tout de même comme des privilégiés puisque nous avons la chance de pouvoir nous isoler, tout le monde n'est pas dans notre cas.
Et puis, à la campagne, nous pouvons nous échapper en forêt pour nous aérer sans risquer de rencontrer trop de monde !

Donnez des nouvelles, je vous embrasse,
Ginette

5.3.20

Chroniques de Février 2020

par Georges Charles

Dimanche 2 Février

L’air de la ville rend libre ; 4e partie, la gare Matabiau

La gare principale de Toulouse a accueilli près de 10 millions de voyageurs en 2017 ; ce sera 20 millions à l’horizon 2030.
 
Obnubilés par la lente arrivée de la LGV (un comble, pour une ligne à grande vitesse !), les Toulousains en oublieraient presque qu’ils sont favorablement situés sur la " liaison ferroviaire du Grand Sud ". Desservie par des trains Intercités, elle relie Bordeaux à Nice, via Toulouse, Montpellier et Marseille. 800 km, 8 heures de trajet par la route ou le rail. Dans une conception renouvelée de l’aménagement du territoire, qui ignorerait superbement Paris et sa force centripète, cette liaison mériterait l’attention et l’investissement des pouvoirs publics et de la Sncf car elle représente un axe majeur de mobilité ; en effet, elle relie cinq parmi les plus grandes agglomérations de France, avec bifurcation vers Barcelone et Lyon, métropoles européennes.
 
En janvier 2020, le parvis Canal devant la zone Départ de la gare prend la forme d’un grand espace piéton et arboré, ouvert sur le centre ville historique. Sera réalisée ensuite la passerelle Matabiau : le sas de l’écluse Bayard, par laquelle passent les bateaux, sera doté d’une couverture en chêne, réversible, sur 40 mètres. Plus tard, création d’un nouveau chemin de halage le long du Canal du Midi, ouvert aux piétons, entre les ponts Matabiau et Riquet.


Dans cette nouvelle présentation des aménagements, apparaît la fameuse Tour Occitane


 Le parvis Canal, demain

Ça y est, c’est parti ! L’ilot compris entre l’avenue de Lyon et la rue du Maroc, de vieux immeubles, décrépis, insalubres pour certains, progressivement vidés de leurs habitants, vient d’être attaqué par les pelleteuses. Nous sommes dans le projet urbain, à quelques centaines de mètres de la gare Matabiau.