4.3.22

Chroniques de Février 2022

 par Georges Charles

Mercredi 2 février

Mon quartier et ses habitants

Depuis avril 2011, je réside en bas du quartier Bonnefoy, dans un ilot relativement bien identifié par les Toulousains. Qui n’est pas passé, au moins une fois, sur le boulevard des Minimes, en longeant le Canal du Midi vers la gare Matabiau ? Qui n’a pas longé, au moins une fois, cette barre d’immeubles d’une douzaine d’étages, cinq au total, construite dans les années 1960, entre le chemin du Raisin et la rue du Maroc. Mon immeuble, au n° 9, comporte 13 étages ; le plus élevé, de 17 étages, est en cours de réhabilitation lourde.

Nous sommes à la frontière du fameux projet d’aménagement urbain " Grand Matabiau Quais d’Oc " (ex-Teso) : d’ici à 2030, 4 hectares de parcs et jardins, 20 000 m² d’équipements publics et 450 000 m² de surfaces de plancher (3 000 logements, 200 000 m² de bureaux), ainsi que des commerces, des services et des activités de loisirs.

Depuis avril 2011, je me suis familiarisé avec les circuits habituels des habitants de ce quartier : vers l’avenue de Lyon et la rue du Faubourg Bonnefoy, vers le centre-ville par la rue Matabiau ou la rue Bayard. J’y rencontre parfois des résidents de mon immeuble ; nous nous saluons, nous reconnaissons par ce geste notre commune appartenance à ce " village " virtuel, délimité par quelques rues. Des gens connus, ici ? La tête de liste écologiste aux dernières municipales de Toulouse et aux régionales d’Occitanie, Antoine Maurice, résiderait dans un immeuble proche du mien.

Je souhaiterais évoquer ici certains " personnages ", que je croise régulièrement. Ce qui les singularise, tout au moins à mes yeux, c’est leur allure pittoresque, bizarre, décalée, marginale, hors-système, qui se caractérise notamment par une manière particulière de se déplacer dans l’espace public. C’est peut-être ma propre situation qui m’aurait amené à repérer, dans la foule des passants, ceux qui rencontrent des difficultés de mobilité.

Le premier, je l’appelle " le zombie ". Grand, très maigre, sobrement vêtu, la quarantaine ; il marche d’un pas extrêmement lent, en regardant ses pieds. Il a la démarche de quelqu’un bourré de cachetons qui lui permettent d’obtenir les équilibres psychique et physique suffisants pour sortir de chez lui. Quelle est sa vie intime et sociale ?

Le second, je l’appelle " la caricature ". Il s’agit d’un homme, d’une cinquantaine d’années, travesti, transexuel, transgenre pour parler moderne. Il porte perruque blonde, blouson coloré, jupe courte et bottes de femme. Tout est caricatural en lui : la démarche disgracieuse, la lourde scoliose, les cuisses maigres, les genoux cagneux. Quelle est sa vie intime et sociale ?

La troisième, je l’appelle " la danseuse ". C’est une résidente de mon immeuble ; victime d’un AVC il y a quelques années, hémiplégique.Elle marche très difficilement, par petits bonds. Selon certains voisins, elle refuserait absolument toute aide de la part d’autrui, car elle souhaiterait vivre comme si tout était normal…Quelle est sa vie intime et sociale ?

Les quatrièmes, je les appelle " les Brueghel ". Depuis 11 ans, j’ai eu le temps de les voir vieillir… et se délabrer physiquement. Deux jumeaux, octogénaires, presque aveugles, portant des vêtements sales et usagés. Aujourd’hui, j’observe qu’ils marchent de plus en plus difficilement, dans une lenteur douloureuse, l’un s’appuyant sur l’épaule de l’autre, à peine plus valide. Quelle est leur vie intime et sociale ?

De tous ces personnages, ce sont les Brueghel qui suscitent en moi le plus profond malaise.

La Parabole des aveugles, Brueghel l’Ancien, 1568

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