3.3.21

Chroniques de Février 2021

par Georges Charles

Mardi 2 février

La loi du genre ; 50e partie, la prostitution au temps des colonies françaises
 

En Afrique du Nord, jusqu’en 1962, les prostituées fournies aux soldats français étaient généralement d’origine indigène. Le régime de la prostitution réglementée en métropole (le fameux " french system ", datant de 1804) avait été aboli en 1946 par la loi dite " Marthe Richard ", mais cela n’avait pas concerné les colonies. 

Les BMC (bordel militaire de campagne) avaient été créés par l’armée là où il n’y avait pas d’autres structures prostitutionnelles (maisons de tolérance ou quartiers réservés), dans les campagnes, les montagnes, les zones semi-désertiques ou désertiques. Ces BMC, fixes ou itinérants, étaient contrôlés par l’État-major. Le plus souvent, c’était une tenancière indigène qui gérait l’établissement ; elle passait avec l’armée un contrat qui définissait ses obligations, notamment le recrutement et le suivi médical du personnel. Les BMC n’étaient rien d’autre que du commerce d’abattage ; certains jours, des femmes pouvaient faire jusqu’à 60 passes…

La colonisation avait transformé la prostitution, jusque-là un commerce relativement artisanal, en une véritable industrie du sexe. À côté des rues réservées, existaient parfois des quartiers entiers, véritables villes dans la ville, comme celui de Bousbir à Casablanca, au Maroc, construit en 1922 et présenté à l’époque comme un modèle : 24 000 m2, 600 à 900 prostituées, 1 500 visiteurs par jour...

Il était coriace, le mythe de la prostituée arabe, très " chaude ", qui faisait découvrir aux jeunes soldats les charmes de la sodomie ; « elles ne voulaient pas de pénétration vaginale pour arriver vierges au mariage… », disaient-ils.

Souvenir personnel : j’avais été instituteur coopérant dans un village des Aurès, entre 1962 et 1963, juste après l’indépendance. Lorsque je me rendais à Batna, capitale de la région et ancienne ville de garnison de l’armée française, j’étais étonné de trouver dans certains magasins des présentoirs de cartes postales, parmi lesquelles des photos de femmes nues ou demi-nues, qualifiées d’arabes, de mauresques… avec ces légendes : Femmes à Européens, Femmes à colons.

La colonisation et l’invention de la photographie avaient produit des dizaines de milliers d’images érotico-esthétisantes à prétexte ethnographique, notamment les fameuses French cards, typiques du porno français colonial. L’imaginaire érotique reposait cependant sur un énorme malentendu, largement diffusé : l’invitation lascive des femmes représentées sur ces photographies serait une pratique générale et quotidienne au Maghreb.

« Dans une société où le regard est souvent pécheur,
où le voile soustrait à la vue les formes en les déformant,
la prostituée propose la nudité intégrale. »

Abdelwahab Bouhdiba, La Sexualité en Islam, 1975

Les " Ouled Naïl " de Bou Saâda (Algérie) était un terme générique englobant des statuts de courtisane, concubine, danseuse et prostituée. Ces femmes utilisaient la prostitution pour constituer dot et expérience avant le mariage. Cette pratique, présentée comme coutumière, faisait aussi partie du folklore érotique des Européens.

En 1977, Michel Sardou, chantre de la nostalgie franchouillarde, exaltait dans sa chanson, Au temps chéri des colonies, cette époque où il était possible d’avoir « quatre filles dans son lit ». Quel mâle !

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