par Georges Charles
Mardi 1er septembre
Toulouse 1974 : la bohème froide
Lassés d’attendre une révolution qui se fait désirer, épuisés d’impatience, certains étudiants et jeunes travailleurs s’orientent vers la marginalité. Ils deviennent freaks, babas, hippies, zonards. Leur allure vestimentaire se modifie ; le style unisexe de " guerrier urbain ", blouson de cuir, jeans, bottes, laisse place à davantage de recherche : cheveux longs, bijoux, chemises indiennes colorées, vestes de soie, robes gitanes, sarouals et djellabas d’Orient, manteaux afghans, boucles d’oreilles pour les hommes... Ils s’habillent comme les stars de la pop et du rock qu’ils vénèrent. Des boutiques hippies, qui vendent ces exubérances vestimentaires, fleurissent en ville. S’habiller autrement, à défaut de vivre autrement. Je suis cette mode et en fréquente les adeptes.
Nous nous rencontrons souvent au magasin de disques " Music Action ", rue des Lois, où je m’approvisionne en albums. Le soir, beaucoup fréquentent " La Table ronde ", rue Pargaminières, reçus avec chaleur commerciale par Christian, le patron. La nuit venue, nous finissons dans une boîte rue du général Compans, près de Matabiau, ouverte par un ancien gauchiste et baptisée " Ho Ho Capucine " (aujourd’hui " Le Midem club "), en référence au slogan des manifs : « Ho, Ho, Ho Chi Minh, Che, Che, Guevara, FLN Vaincra ! ».
Bohème froide, qui me laisse sur ma faim. Les Rolling Stones m’avaient pourtant prévenu : « (I Can’t Get No) Satisfaction », « You Can’t Always Get What You Want ». Sous la rébellion déçue, la frustration. Il ne suffisait pas d’être " disponible ", consommateur de moments intenses, une rencontre, un concert, un travail universitaire ; il manquait un supplément d’âme, ce que le militantisme avait été, un certain temps. Bohème froide, fête sans lampions, où je m’ennuie.
Dans ce contexte, ma relation avec Nicole, rencontrée en juin dernier, ne passe pas l’hiver. Entre mon hédonisme de bazar et son pessimisme chronique, la cohérence n’y est pas. Elle s’inquiète pour son avenir professionnel tandis que je m’installe dans le confort de la bourse d’IPES, au moins jusqu’à juin 1974…Alors, on se quitte.
Ce soir à la télé, je regarde une fois de plus le film Scarface, de Brian de Palma (1983), avec Al Pacino. L’histoire d’un gangster cubain, émigré aux États-Unis en 1980, qui devient un caïd du trafic de drogue. Que nous montrent les premières images ? Des exilés entassés sur des bateaux de fortune ! Entre avril et octobre, près de 125 000 cubains quittaient Cuba au port de Mariel pour la Floride. Il se passait, dans le golfe du Mexique, ce qu’il se passe aujourd’hui en Méditerranée.