De la Guerre de Trente Ans
au référendum de 2005,
la fin du suicide européen
Depuis de nombreuses années dans le Sud-Ouest, après avoir passé une partie de ma jeunesse dans le Nord-Est puis à l’étranger, je peux mesurer combien les lieux vécus peuvent peser sur la formation des convictions personnelles, politiques ou culturelles. L’idée que l’on peut se faire de l’Europe, à l’occasion de la campagne pour le référendum, n’y fait pas exception.
Pourquoi les lieux ? Quand on interroge l’histoire militaire européenne, au sens d’affrontements entre armées de pays européens, chacun conviendra que le paisible Sud-Ouest n’a eu à connaître que trois petites batailles :
- Muret, en 1213 entre barons français du Nord et l’alliance de Toulouse et de la Catalogne ;
- Castillon-la-Bataille en Gironde, mettant fin à la Guerre de Cent Ans ;
- Toulouse en avril 1814…bataille indécise, sans vainqueurs ni vaincus et qui, de plus, ne servit à rien puisque Napoléon avait déjà abdiqué depuis quelques jours.
A l’inverse, dans ce grand quart Nord-Est (dont la limite méridionale pourrait être la Seine, le plateau de Langres et Belfort) toutes les guerres européennes impliquant la France y ont laissé leurs traces sanglantes : Bouvines, Crécy, Azincourt, Rocroi, Fontenoy, Valmy, la retraite de Napoléon Ier , Froeschwiller, Sedan, le siège de Paris, la Marne, Verdun, le Chemin des Dames, Vimy, la débâcle de 1940, l’occupation totale de juin 1940 à décembre 1944, la Normandie, les Ardennes…Toutes les armées européennes ont labouré ces terres.
Pour les amateurs de photos historiques « européennes », rien ne remplacera celles-ci : DE GAULLE et ADENAUER debout côte à côte ; MITTERRAND et KOHL main dans la main à Verdun, des années plus tard. [1]
Ces deux couples ont contribué à mettre un terme à une guerre civile européenne ouverte depuis très longtemps, bien avant 14-18, depuis la Guerre de Trente Ans (1618-1648).
Livrons nous donc à un audacieux et très sommaire rétroplanning historique, nous y apprendrons peut-être à regarder notre propre pays avec des lunettes moins complaisantes que celles fournies par les souverainistes de tous poils. Allons-y !
[1] Une fois, le Français domine l’Allemand de toute sa stature, l’autre fois, c’est l’inverse ; match nul !
Attention, une guerre peut en cacher une autre, chacune contenant les prémisses de la suivante…
1939- 1945 : c’est proche dans le temps, c’est connu…pour les Nazis, il s’agissait de laver l’affront du traité de Versailles, cf. la guerre précédente.
1914 – 1918 : c’est déjà moins proche, et pourtant, le scénario est le même : pour les Français, il s’agissait de laver l’affront de la guerre de 1870 – 1871 et l’occupation de l’Alsace-Lorraine.
1870 – 1871 : il s’agissait pour Napoléon III de venger l’affront subi par son oncle, Napoléon Ier, après la retraite de Russie, les campagnes d’Allemagne puis de France, contre une coalition animée par la Prusse (les Prussiens à Paris !). [1]
1812 – 1813 : la VIe coalition animée par la Prusse avait vocation à venger les humiliations militaires infligées par Napoléon Ier depuis Auerstedt et Iéna en 1806 (les Français à Berlin !, la Prusse amputée de la moitié de son territoire), sans oublier Valmy en 1792 !
1756 – 1763 : la Guerre de Sept Ans : la France contre la Prusse.
1686 – 1697 : la Guerre de la Ligue d’Augsbourg, entre la France et une coalition comprenant le Saint Empire Romain Germanique, à la suite de laquelle Louis XIV dut rendre des territoires occupés (dont la Lorraine et le Palatinat).
1618 – 1648 : la Guerre de Trente Ans. Elle mérite que l’on s’y arrête puisqu’on peut la qualifier de première guerre européenne ! ! !
Une guerre d’extermination [2], où des nations européennes constituées (Autriche, Danemark, Suède, France) s’étripèrent sur le sol allemand :
« Le grand perdant est le Saint Empire, politiquement démembré, économiquement ruiné, démographiquement ravagé.
L'Europe bénéficia du nouvel équilibre entre les puissances, favorable à l'hégémonie française, tandis que l'Allemagne, politiquement morcelée en une myriade de petits États désormais quasi-indépendants, pâtit tant des mesures de la guerre que de celles de la paix. Parcourue pendant trente ans par des armées cosmopolites, peu disciplinées, mal payées, souvent conduites par des condottieri avides, elle sortait du conflit considérablement appauvrie.
[1] Dans les cimetières de certains villages de la montagne vosgienne, il n’est pas rare de rencontrer des monuments aux morts de la guerre de 1870 ; les premiers résistants (que l’on appelait alors « francs-tireurs ») français datent de cette période.
[2] Jacques CALLOT, graveur et peintre lorrain, « Les Malheurs de la guerre », 1633.
Aux destructions matérielles s'ajoutait un bilan humain effroyable. Les pertes, terribles, ne constituaient qu'un aspect du problème ; la guerre avait entraîné des déplacements de populations et des migrations qui s'étaient accompagnés d'épidémies et de disettes : Mecklembourg et Poméranie, marche du Brandebourg et archevêché de Magdeburg (mis à sac en 1631), Thuringe, Hesse, Bavière, Wurtemberg, Palatinat, électorat de Trèves avaient par endroits perdu jusqu'aux deux tiers de leurs habitants. Les paysans avaient été les plus touchés ; ils furent souvent réduits à la misère, ayant été bien malgré eux les principaux pourvoyeurs des armées en vivres et en fourrage, et cela durant presque toute la durée du conflit. Moins affectés, les autres pays se relevèrent assez rapidement, tandis que l'Allemagne porta les traces matérielles de la guerre pendant un demi-siècle, et ses traces morales plus longtemps encore ». [1]
Pourquoi ce voyage dans le temps ?
Il n’est pas négligeable de constater que les Français, en matière de bellicisme, de nationalisme exacerbé, de délire de grandeur, n’ont de leçons à recevoir de personne.
Qu’on en juge : comme l’a dit un jour MITTERAND à un premier ministre danois : « vous êtes le seul pays d’Europe contre lequel nous n’avons jamais été en guerre ». En d’autres termes, nous avons été longtemps la nation la plus belliqueuse d’Europe, trimballant nos rapières et nos mousquetons sur toutes les routes du continent, Italie, Allemagne, Espagne, Hollande, Autriche, Russie…sauf en Angleterre, nation aussi belliqueuse que nous à vrai dire.
Si les poignées de mains franco-allemandes ont aujourd’hui tant de force, c’est qu’elles affirment la fin d’un délire commencé avec les exactions des soldats de Turenne en Palatinat.
Quelle autre nation aura eu la suffisance d’appeler un de ses rois, le Roi Soleil ? Le ressentiment des Allemands [2] à l’égard de la France a tenu peut-être d’abord à cette dette mal réglée ; rien de mieux, pour les junkers prussiens puis les nazis, que de rappeler les massacres français du XVIIe siècle [3]!
Quelle relation avec le référendum sur le Traité Constitutionnel ?
Plutôt que de jouer les exégètes du droit européen, de décortiquer à l’envie les espoirs ou les craintes suscités par tel ou tel article, pourquoi ne pas mettre en évidence cette vérité première : une « France européenne » est plus attrayante qu’une « Europe française » !
[1] Internet : La guerre de Trente Ans
[2] « Le massacre, objet d’histoire » ouvrage collectif chez Folio-Histoire Gallimard ; selon le commentaire du Nouvel Observateur du 19-25 mai 2005 : « Le massacre a de nombreuses fonctions. Il peut être le moteur de la construction d’une identité nationale. Claire Gantet (un des auteurs de l’ouvrage) montre comment les massacres de la guerre de Trente Ans au XVIIe siècle ont été par la suite instrumentalisés par l’historiographie allemande. Au XIXe siècle, ils ont alimenté la propagande patriotique et, au Xxe, le projet nazi. L’argument est simple : quand l’Allemagne était divisée, elle se faisait massacrer ; si elle est unie, elle est invulnérable ».
[3] Jusqu’à une date récente, en Palatinat, des défunts étaient placés à leur demande face contre le fond du cercueil pour ne pas avoir à regarder éternellement le soleil, symbole du malheur …
Georges CHARLES
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