par Georges Charles
Jeudi 1er mars
La naissance de Boris
Des couples ne souhaitent pas avoir d’enfants. Est-ce de la froideur, de l’égoïsme ? Lorsqu’ils éprouvent le besoin de s’en expliquer, parce qu’invariablement on finit par les interroger sur le sujet, certains avancent l’argument suivant : le monde d’aujourd’hui est si horrible, si dangereux, si malfaisant (en vrac : la pollution, le terrorisme, les inégalités, la violence, le chômage, le nucléaire…) qu’il serait criminel de procréer et de jeter cette progéniture dans un tel monde (1). D’autres plus honnêtes ou plus cyniques, disent ne pas souhaiter que leur niveau de vie baisse ; en effet, les enfants, ça coûte plus que ça ne rapporte.
Je remercie ici mes parents de ne pas avoir eu de tels " scrupules". En 1945 pourtant, notre pays et le monde n’allaient pas très fort et il fallait bien de l’audace, ou de l’inconscience, sans oublier l’absence de contraception… pour faire des enfants.
Dans les familles recomposées, riches d’une progéniture née comme on dit d’un " premier lit ", le désir d’enfant peut naître du besoin d’incarner la nouvelle union. Pourquoi pas un enfant à nous, de nous, pour nous ? Avec trois enfants, on deviendrait une famille presque nombreuse.
Depuis la fin des années 1970 et la naissance de mon premier fils, Adrian, les techniques d’obstétrique ont évolué, notamment en matière de diagnostic prénatal : écographie, amniocentèse et biopsie du trophoblaste pour rechercher d’éventuelles maladies génétiques ou chromosomiques, examens obligatoires lorsque l’âge de la mère est supérieur à 38 ans.
En matière d’accouchement, certaines pratiques médicales semblent répondre à des choix plus " culturels " que techniques, sauf à considérer que la morphologie d’une femme enceinte diffère selon le pays, voire la région. Ainsi, en France, en matière d’épisiotomie (incision du périnée), les pratiques sont différentes d’un CHU à l’autre, 2 ou 3 % ici, 40 % ailleurs… Au plan national, on est passé de 51 % en 1998 à environ 20 % en 2016. En Europe, 5 % au Danemark, 73 % au Portugal. De même, le recours à l’anesthésie péridurale est très élevé en France (2) où il est financièrement pris en charge par la Sécurité sociale depuis 1994 : de 3 % en 1980 à 77 % en 2015. En Grande-Bretagne, 27 % ; en Allemagne, 24 % ; au Danemark ou aux Pays-Bas, moins de 5 % des accouchements.
Micro-événement en cours de grossesse ; la couvade du futur père. La prise de poids a été réelle chez moi, quatre kilos en quelques mois ; par contre, je ne suis pas allé jusqu’à connaître des envies, des maux de têtes et des nausées. Menant une vie quotidienne plus paisible, nous faisions un peu de gras…. Selon des chercheurs, la couvade serait l’expression d’une forme de jalousie de l’homme envers la femme enceinte, une façon de minimiser l’écart entre les deux sexes pendant la grossesse. La couvade démontre également une forte implication du futur père dans la venue du bébé.
À quelques pas de notre domicile, une sage-femme psychologue proposait des séances de préparation à l’accouchement à des couples, la présence du père étant fortement recommandée. Ces séances abordaient des thèmes plus ou moins tabous, comme la douleur et la peur de la mort. Elle nous faisait réfléchir sur le sens des représentations anciennes et traumatisantes, « tu enfanteras dans la douleur », ou cyniques, « la douleur embellit la femme ». Aujourd’hui encore, je me souviens de sa contextualisation de la peur ancestrale de " mourir en couches ", par hémorragie ou embolie (3). Qui sacrifier, la mère ou l’enfant ? Elle rappelait que ce risque était encore très présent jusqu’à la Seconde guerre mondiale… jusqu’à l’invention et l’industrialisation à grande échelle de la pénicilline.
Elle nous avait conseillé de construire une " bulle de sérénité personnelle " pour le jour de l’accouchement, « en buvant un petit verre de Sauternes, si ça vous fait plaisir ! » Comme en 1979 pour Adrian, nous nous sommes rendus à la clinique Varsovie, dans le quartier Saint-Cyprien ; comme en 1979, nous avons eu affaire à la même sage-femme. De tels augures ne pouvaient que favoriser la réussite de notre projet, donner naissance à un enfant dans les conditions les plus maîtrisées.
C’était un garçon ; il allait bien, la maman aussi.
Le premier bain !
(1) Les enfants par la tête ou les Allemands se meurent, Gunther Grass, 1980.
(2) Le boum de cette technique date des années 1970-1980. Les mouvements féministes et la presse vantaient cette méthode, vue comme un droit. Les femmes se disaient: « il n’y a aucune raison pour que je souffre autant que ma mère et ma grand-mère ». En face, les médecins ont répondu très favorablement à ces demandes.
(3) En France, aujourd’hui encore, 85 femmes meurent chaque année en donnant la vie, sur environ 800 000 accouchements.
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